Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/346

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révèle dans l’Anneau du Nibelung : là se réfléchit et s’accuse ce nœud vital, ce point central de l’individualité de l’artiste, qu’un Schopenhauer même ne parvint pas à modeler à son image. Lorsque Wagner esquissa son Anneau, une pensée s’imposa à lui, c’est que le saint Graal était l’idéalisation du trésor des Nibelungen[1]. La figure de Parsifal, « le simple », ne se dressa devant lui que quelques années plus tard, au moment où, travaillant à la Valkyrie, il s’interrompit pour esquisser Tristan et Iseult. Si le « saint vase », consacré par le sang du Sauveur, apparut à l’imagination de Wagner comme faisant pendant à l’or du Rhin, Parsifal, dans la première esquisse de Tristan, Parsifal, l’homme « pur et insensé » auquel la pitié donne la science, devait surgir tout à coup à côté du héros qui mourait d’amour. Ce fut sans doute par de profondes raisons artistiques que Wagner rejeta bientôt cette conception ; Parsifal devint la figure centrale d’un nouveau drame, dont le premier projet date du printemps 1857, c’est-à-dire de l’époque où le maître travaillait à la composition de Siegfried, peu avant l’achèvement du poème de Tristan. On voit ici quels fils ténus et nombreux, inextricables pour tout autre que lui, reliaient, dans l’imagination du maître, ces trois drames l’un à l’autre ! On devine aussi ce que Wagner voulait dire, quand il prétendait qu’on ne saurait comprendre Parsifal qu’après avoir « digéré Tristan ». Il serait presque puéril de rappeler, après des considérations de ce poids, certaines bagatelles, comme, par exemple, le fait que Wagner, pendant « sa phase de sombre pessimisme »,

  1. Voir dans l’écrit : Les Wibelungen (1848) la section intitulée : « Transmutation du contenu idéal du trésor, qui devient le saint Graal. »