Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/358

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C’est bien la vieille, l’éternelle tragédie de l’amour sans espoir, ramenée à son essence purement et universellement humaine, à ses lignes élémentaires, comme jamais un Shakespeare dans son Roméo et Juliette, ni un Godefroy de Strasbourg dans son roman rimé, n’eussent osé l’essayer ; mais dilatée en une puissance d’expression dont seule la musique était capable. Et cette dilatation n’est possible que grâce à la simplification toute classique de l’action, car ainsi, tout d’abord, le dramaturge obtient la condition extérieure nécessaire, à savoir l’espace ; mais avant tout il trouve « dans le poème dramatique, la contrepartie poétique de la forme symphonique ». Je voudrais montrer, par une courte analyse, combien strictement cette réduction à l’élément purement humain, et par conséquent musical, se continue à travers tout le drame.

Dans le premier acte, Tristan conduit à son oncle, comme fiancée, celle que « Frau Minne » lui destine à lui-même ; avant le soir, celle qui est « créée pour lui » appartiendra à un autre. Isolde se décide à mourir, et demande à Tristan de partager avec elle le breuvage mortel : l’attente de la mort descelle leurs lèvres ; ayant bu le poison, comment les héros pourraient-ils mentir ? Ils tombent dans les bras l’un de l’autre.

Mais à peine « ceux qui étaient faits l’un pour l’autre » s’étaient-ils trouvés dans la mort, qu’ils se perdaient sans retour. C’est avec cette séparation violente de « ceux que la mort avait unis » que commence le second acte. Le flambeau qui brûle à la porte d’Iseult est, pour Tristan, le signal qui l’avertit de ne pas approcher : c’est en vain que Brangäne, qui prévoit la trahison imminente, conjure sa maîtresse de ne pas éteindre le fanal, « au moins aujourd’hui » ; Isolde le saisit :