Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/385

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midi jusque dans la nuit à leurs trilogies, et ils n’étaient que des hommes ; mais c’étaient des hommes qui participaient activement au plaisir que ces trilogies leur donnaient ».

Cette conception de la destinée du théâtre, cette ferme exigence des moyens pratiques propres à lui rendre sa dignité vraie, ont été le terrain sur lequel l’idée des Festspiele devait croître et mûrir plus tard. Tout d’abord, elle a un rapport génétique étroit avec l’Anneau du Nibelung. Quand le maître eut agrandi cette œuvre jusqu’aux proportions d’une gigantesque trilogie, il lui devint évident qu’il ne pouvait compter, pour son exécution, sur les théâtres ordinaires. Déjà lorsque les lignes générales du projet furent arrêtées dans sa tête, il écrivait à Uhlig, le 12 novembre 1851 : « Par cette conception, je m’arrache à toute relation possible avec le théâtre et le puhlic d’aujourd’hui, je romps définitivement et à jamais avec la forme présente ». On ne pouvait alors prévoir que nos théâtres, trente ans après, se jetteraient avidement sur cette même œuvre et la tranformeraient, en la défigurant de diverses manières, et certes, cette perspective n’eût point été de nature à encourager le maître. Dès le début, cette œuvre fut pour lui, comme devaient l’être aussitôt celle de la seconde moitié de sa vie, quelque chose d’auguste et de sacré ; il ne fallait pas que, comme les précédentes, elle fût condamnée « à mendier, pour lui, le pain quotidien ». Et le maître écrit à Liszt : « Je ne voudrais pas, même en pensée, polluer les Nibelungen en y rattachant la moindre juiverie calculatrice, et j’entends leur conserver toute leur pureté, même sous ce rapport ». Aussi cette œuvre ne devait-elle se donner qu’à titre de « fête spéciale ». « Il ne me vient point à la pensée, de songer, pour elle à aucun théâtre