Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/20

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qu’il a commencé. « Je suis un homme libre, ajouta-t-il, jamais on ne me fera rentrer vivant dans une prison. » Il signa cette déclaration où respire l’énergie du plus ferme caractère ; et sans daigner s’apercevoir qu’il pouvait être entendu des nombreux agens de la tyrannie, il continua de s’expliquer librement sur les motifs de l’action qu’il venait de commettre. Il disait à ses amis : « Voilà ce que c’est que d’être maladroit de la main ; on ne réussit à rien, pas même à se tuer. Et cependant je pouvais le faire en sûreté, ajoutait-il ; je ne craignais pas du moins d’être jeté à la voierie du Panthéon. » C’était ainsi qu’il l’appelait depuis l’apothéose de Marat. Contre son attente, les progrès de la guérison furent très-rapides ; il s’amusait à traduire les épigrammes de l’anthologie ; et, tout meurtri des coups qu’il s’était portés pour se soustraire à ceux de la tyrannie, il ne craignait pas de se montrer aux tyrans. Les tendres soins qu’il avait reçus de l’amitié semblaient avoir adouci l’idée du besoin qu’il en avait eu. « Ce n’est point à la vie que je suis revenu, disait-il, c’est à mes amis. »

Toujours plus indigné des horreurs dont il avait voulu s’affranchir par la mort, on l’entendit dire plus d’une fois : « Ce que je vois me donne à tout moment l’envie de me recommencer. » Obligé, par la perte presque totale de ses moyens d’existence et par les frais considérables de sa détention et de son traitement, à vivre de priva-