DE CHAMFORT. 221
La musique est une langue. Imaginez un peuple d'inspirés et d'enthousiastes, dont la tète serait toujours exaltée , dont l'âme serait toujours dans l'ivresse et dans Textase ; qui , avec nos passions et nos principes, nous seraient cependant supérieurs par la sensibilité , la pureté et la délicatesse des sens, par la mobilité, la finesse et la perfection des organes : un tel peuple chanterait au lieu de parler , sa langue naturelle serait la musique.
Le poème lyrique ne représente pas des êtres d'une organisation différente de la nôtre, mais seulement d'une organisation plus parfaite ; ils s'expriment dans une langue qu'on ne saurait par- ler sans génie , mais qu'on ne saurait non plus en- tendre sans un goût délicat^ sans des organes ex- quis et exercés.
Ainsi, ceux qui ont appelé le chant le plus fa- buleux de tous les langages , et qui se sont mo- qués d'un spectacle où les héros meurent en chan- tant, n'ont pas eu autant de raison qu'on le croirait d'abord ; mais comme ils n'aperçoivent , dans la musique, que tout au plus un bruit harmonieux et agréable, une suite d'accords et de cadences , ils doivent le regarder comme une langue qui leur est étrangère : ce n'est point à eux d appré- cier le talent du compositeur , il faut une oreille attique pour juger de l'éloquence de Démosthène.
La langue du musicien a , sur celle du poète , l'avantage qu'une langue universelle a sur un idiome particulier; celui-ci ne parle que la langue
�� �