Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t5.djvu/263

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DE eu A M FORT. 1^'J

Une lettre charmante et pleine d'esprit 1 est-il possible ? Quoi ! c'est vous qui vous permettez de pareils excès ! On est tranquille sur votre compte; et tout d'un coup voilà une infraction de régime

qui vient effrayer vos amis. Si madame M eût

dit simplement une lettre charmante , je dirais : cela peut se passer , peut-être le mal n'est-il pas si grand qu'on le fait. Vingt fois j'ai entendu dire : c'est un ouvrage charmant ; et, à la lecture , j'ai vu que rien n'était plus faux : mais plein d'esprit, c'est là ce qui est une faute absolument impardon- nable. Je ne vous cache pas que je me crois obligé d'en faire avertir M. Tronchin , qui ne plaisante point dans ces cas-là, et qui saura vous en dire son avis. De l'esprit! vous n'ignorez pas combien la pensée est nuisible à l'homme ; que , par cette raison , il n'y a presque pas d'homme qui pense la vingtième partie de sa vie; que vous même, pour avoir pensé seulement la moitié de la vôtre, vous vous en trouvez très-mal : et voilà que , non seu- seulement vous pensez, mais même vous osez avoir de l'esprit. Vous savez qu'en pleine santé même, il ne fait pas sûr de se donner cette licen- ce ; que l'esprit entraîne de grands inconvéniens à la ville , à la cour ; et c'est vous Je n'en re- viens pas. Bon dieu ! à quoi sert la philosophie ? Je ne m'y connais point ; mais je soupçonne qu'il y a, entre penser et avoir de l'esprit, la même différence qu'il y a entre marcher et courir ; et , si cela est vrai, jugez combien vous êtes coupable.

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