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Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t5.djvu/309

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DE CHA.MFORT. 3o3

inspire de la curiosité, de la crainte, de l'espérance, en un mot, qu'il remue les passions, comme les ouvrages de théâtre dont il rend compte. Faut-il tout vous dire , monsieur ? gardez-moi le secret : un journal sans malice est un vaisseau de guerre démâté, à qui les corsaires même refusent le salut.

On peut insister et prétendre qu'il est possible d'accorder la plus exacte politesse avec une critique sévère. Outre que je crois cet accord très-difficile , l'amour propre des auteurs sait-il, dans ses cha- grins, vous tenir compte de vos ménagemens ? On injurie, on insulte, on calomnie le critique; et, en pareil cas , qui peut répondre de soi ? Le sentiment de l'injustice irrite ; le caractère s'aigrit ; on devient injuste, absurde soi-même ; et on finit par tomber dans un décri, dans un avilissement, qui équivaut à une flétrissure publique et à ime véritable dif- famation. Nous en avons des exemples déplorables dans la^personne de M. Fréron et de M. de Laharpe qui n'étaient point sans talens , l'un et l'autre , à beaucoup près. Qui sait même s'ils n'étaient pas nés honnêtes ? En vérité , cette destinée fait frémir. Il n'en faut pas courir les risques : il ne faut pas tenter Dieu.

Telles sont mes raisons , monsieur ; et en suppo- sant, ce qui serait peut-être en moi trop d'amour propre, qu'elles ne vous satisfissent point comme propriétaire du privilège du Mercure^ je suis bien sûr que vous les approuverez comme homme, et comme honnête homme.

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