Page:Chamfort - Maximes, Pensées, Caractères et Anecdotes, 1796, éd. Ginguené.djvu/346

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On se souvient encore de la ridicule & excessive vanité de l’Archevêque de Reims, Le Tellier-Louvois, sur son rang & sur sa naissance. On sait combien, de son tems, elle était célèbre dans toute la France. Voici une des occasions où elle se montra toute entière le plus plaisamment. Le Duc d’A…[1], absent de la Cour depuis plusieurs années, revenu de son Gouvernement de Berry, allait à Versailles, sa voiture versa & se rompit. Il faisait un froid très-aigu. On lui dit qu’il fallait deux heures pour la remettre en état. Il vit un relai & demanda pour qui c’était : on lui dit que c’était pour l’Archevêque de Reims qui allait à Versailles aussi. Il envoya ses gens devant lui, n’en réservant qu’un, auquel il recommanda de ne point paraître sans son ordre. L’Archevêque arrive. Pendant qu’on attelait, le Duc charge un des gens de l’Archevêque de lui demander une place pour un honnête homme, dont la voiture vient de se briser, & qui est condamné à attendre deux heures qu’elle soit rétablie. Le Domestique va & fait la commission. Quel homme est-ce ? dit l’Archevêque. Est-ce quelqu’un comme il faut ? — Je le crois, Monseigneur ; il a un air bien honnête. — Qu’appelles-tu honnête ? est-il bien mis ? — Monseigneur, simplement, mais bien. — A-t-il des gens ? — Monseigneur, je l’imagine. — Va-t’en le savoir. Le Domestique va & revient : Monseigneur, il les a envoyés devant à Versailles. — Ah ! c’est quelque chose.

  1. Il s’agirait de Charles d’Aubigné. À la date de cette rencontre (1700), il avait été gouverneur de la province du Berry de 1691 à 1698. Sa fille, Françoise-Charlotte, avait épousé en 1698 Adrien-Maurice de Noailles, gouverneur du Berry de 1698 à 1715 ; elle sera l’héritière de sa tante, Mme de Maintenon, à sa mort en 1719. (Note Wiki)