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Page:Chamfort - Maximes, Pensées, Caractères et Anecdotes, 1796, éd. Ginguené.djvu/53

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sur Chamfort.

totalement privé de la vue, les jambes encore affaiblies & douloureuses, proscrit par ceux qui se disaient les amis du peuple, & portant sur toute sa personne des traces de l’effort courageux mais inutile qu’il avait fait pour leur échapper. Son ton était simple, sans jactance & sans amertume. Les tendres soins qu’il avait reçus de l’amitié semblaient avoir adouci l’idée du besoin qu’il en avait eu. Quelqu’un lui exprimait le plaisir de le voir revenir à la vie : « Ce n’est point à la vie, répondit-il, que je suis revenu ; c’est à mes amis. » Ce qui se passait alors tous les jours n’autorisait que trop cette distinction aussi juste que touchante. Il en était profondément affecté : il disait au sensible Colchen[1] qui le félicitait d’être échappé à ses propres coups : « Ah, mon ami ! les horreurs que je vois me donnent à tout moment l’envie de me recommencer. »

  1. Alors l’un des premiers commis, & depuis Commissaire des Relations extérieures. Il honora son caractère par des assiduités courageuses auprès de Chamfort : elles étaient d’autant plus méritoires qu’il le connaissait peu avant cette époque. Il accourut pour ainsi dire au signal du malheur & du danger. Chamfort, que la présence réelle & continue de l’espionnage ne pouvait rendre circonspect, lui disait un jour devant ses gardes : « Je suis habitué depuis long-tems aux bontés des Relations extérieures. C’est depuis ce pauvre Lebrun qui avait pour moi beaucoup d’amitié, & qui en avait inspiré à tout ce qui l’approchait. » Et Lebrun était alors en fuite, & poursuivi comme un conspirateur.