Page:Chamfort - Maximes et pensées éd. Bever.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

point de ceux qui veulent l’écarter, lui nuire, le perdre ou le tromper. S’il est d’un caractère assez élevé pour vouloir n’être protégé que par ses mœurs, ne s’honorer de rien, ni de personne, se gouverner par ses principes, se conseiller par ses lumières, par son caractère, et d’après sa position, qu’il connaît mieux que personne, on ne manque pas de dire qu’il est original, singulier, indomptable. Mais s’il a peu d’esprit, peu d’élévation, peu de principes, s’il ne s’aperçoit pas qu’on le protège, qu’on veut le gouverner, s’il est l’instrument des gens qui s’en emparent, on le trouve charmant et c’est, comme on dit, le meilleur enfant du monde.

CCXIV

La Société, ce qu’on appelle le Monde, n’est que la lutte de mille petits intérêts opposés, une lutte éternelle de toutes les vanités qui se croisent, se choquent, tour à tour blessées, humiliées l’une par l’autre, qui expient le lendemain, dans le dégoût d’une défaite, le triomphe de la veille. Vivre solitaire, ne point être froissé dans ce choc misérable, où l’on attire un instant les yeux pour être écrasé l’instant d’après, c’est ce qu’on appelle n’être rien, n’avoir pas d’existence. Pauvre humanité !