Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 20 —

dragore ; l’armet de Mambrin ; le rameau d’or ; le chapeau de Fortunatus, remis à neuf, et richement remonté, ou, si vous préfériez, sa bourse… » — « La bourse de Fortunatus ! » m’écriai-je. Et ce seul mot, quelle que fût d’ailleurs mon angoisse, m’avait tourné la tête. Il me prit des vertiges, et je crus entendre les doubles ducats tinter à mon oreille.

« Que Monsieur daigne examiner cette bourse et en faire l’essai. » — il tira en même temps de sa poche et remit entre mes mains un sac de maroquin à double couture et fermé par des courroies. J’y puisai, et en retirai dix pièces d’or, puis dix autres, puis encore dix, et toujours dix. — Je lui tendis précipitamment la main. — « Tope ! dis-je, le marché est conclu, pour cette bourse vous avez mon ombre. » — Il me donna la main, et sans plus de délai se mit à genoux devant moi : je le vis avec la plus merveilleuse adresse détacher légèrement mon ombre du gazon depuis la tête jusques aux pieds, la plier, la rouler, et la mettre enfin dans sa poche.

Il se releva quand il eut fini, s’inclina devant moi, et se retira dans le bosquet de roses. Je crois que je l’entendis rire en s’éloignant. Pour moi, je tenais ferme la bourse par les cordons ; la terre était également éclairée tout autour de moi, et je n’étais pas encore maître de mes sens.