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proposition : daigneriez-vous consentir à traiter avec moi de ce trésor ? pourriez-vous vous résoudre à me le céder ? »

Il se tut, et j’hésitais à en croire mes oreilles. « M’acheter mon ombre ! il est fou, me dis-je en moi-même, » et d’un ton qui sentait peut-être un peu la pitié, je lui répondis :

« Eh ! mon ami, n’avez-vous donc point assez de votre ombre ! Quel étrange marché me proposez-vous !… » Il continua. « J’ai dans ma poche bien des choses qui pourraient n’être pas indignes d’être offertes à Monsieur. Il n’est rien que je ne donne pour cette ombre inestimable ; rien à mes yeux n’en peut égaler le prix. »

Une sueur froide ruissela sur tout mon corps lorsqu’il me fit ressouvenir de sa poche, et je ne compris plus comment j’avais pu le nommer mon ami. Je repris la parole, et tâchai de réparer ma faute à force de politesses.

« Mais, Monsieur, lui dis-je, excusez votre très humble serviteur ; sans doute que j’ai mal compris votre pensée. Comment mon ombre pourrait-elle… ? Il m’interrompit. — Je ne demande à Monsieur que de me permettre de ramasser ici son ombre et de la mettre dans ma poche ; quant à la manière dont je pourrai m’y prendre, c’est mon affaire. En échange, et pour prouver à Monsieur ma reconnaissance, je lui laisserai le choix entre plusieurs bijoux que j’ai avec moi : l’herbe précieuse du pêcheur Glaucus ; la racine de Circé ; les cinq sous du Juif-Errant ; le mouchoir du grand Albert ; la man-