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Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/27

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fortune actuelle, et j’achetai surtout une quantité de choses inutiles, de bijoux et de pierreries, dans le seul but de me débarrasser d’une partie du monceau d’or qui me gênait ; mais à peine si la diminution en était sensible.

Je flottais cependant, à l’égard de ce qui me manquait, dans une incertitude mortelle ; je n’osais sortir de ma chambre, et je faisais allumer le soir quarante bougies dans mon salon, pour ne point rester dans les ténèbres. Je ne pensais qu’avec effroi à la rencontre des écoliers ; cependant je voulais, autant que j’en aurais le courage, affronter encore une fois les regards du public, et donner à l’opinion l’occasion de se prononcer. La lune éclairait alors les nuits ; je m’enveloppai d’un large manteau, je rabattis mon chapeau sur mes yeux, et me glissai, tremblant comme un malfaiteur, hors de l’hôtel. Je m’éloignai à l’ombre des maisons, et ayant gagné un quartier écarté, je m’exposai au rayon de la lune, résigné à apprendre mon sort de la bouche des passants.

Épargne-moi, mon ami, le douloureux récit de tout ce qu’il me fallut endurer. Quelques femmes manifestaient la compassion que je leur inspirais, et l’expression de ce sentiment ne me déchirait pas moins le cœur que les outrages de la jeunesse et l’orgueilleux mépris des hommes, de ceux-là surtout qui se complaisaient à l’aspect de l’ombre large et respectable dont leur haute stature était accompagnée. Une jeune personne d’une grande beauté, qui semblait suivre ses parents, tandis que ceux-ci re-