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Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/30

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sieur de ce qu’il lui importait le plus de savoir ; il me reste à m’acquitter d’une commission dont m’a chargé pour lui quelqu’un que je viens de rencontrer devant la porte, en retournant d’une mission où j’ai si mal réussi. Voici quelles ont été ses propres paroles : — Dites à M. Pierre Schlémihl qu’il ne me reverra plus ici, parce que je vais passer les mers, et que le vent qui vient de se lever ne m’accorde plus qu’un moment ; mais que d’aujourd’hui dans un an j’aurai moi-même l’honneur de venir le trouver, et de lui proposer un nouveau marché qui pourra lui être alors agréable. Faites-lui mes très humbles compliments, et assurez-le de ma reconnaissance. » — Je lui ai demandé son nom ; il m’a répondu : — Rapportez seulement à votre maître ce que je viens de vous dire, et il me reconnaîtra. »

« Comment était-il fait ? » m’écriai-je avec un sinistre pressentiment. Et Bendel me dépeignit, trait pour trait, l’homme en habit gris, tel qu’il venait de le signaler lui-même dans son récit. — « Malheureux ! m’écriai-je, c’était lui-même. » Et tout à coup, comme si un épais bandeau fût tombé de ses yeux : — « Oui ! s’écria-t-il avec l’expression de l’effroi, oui, c’était lui, c’était lui-même. Et moi, aveugle, insensé que j’étais, je ne l’ai pas reconnu, malgré la peinture exacte que vous m’en aviez faite, et j’ai trahi la confiance de mon maître ! »

Il éclata contre lui-même en reproches amers, et le désespoir auquel je le voyais se li-