Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 36 —

éclats, si, au même moment, songeant à moi-même, un frisson glacial ne m’eût saisi.

Cependant Fanny perdit l’usage de ses sens. Je la laissai se dégager de mes bras, et perçant comme un trait la foule de mes hôtes, je gagnai la porte, me jetai dans la première voiture qui se rencontra, et revins précipitamment à la ville, où, pour mon malheur, j’avais laissé cette fois le circonspect Bendel. Le désordre qui se peignait dans tous mes traits l’effraya d’abord ; un mot lui révéla tout. Des chevaux de poste furent à l’instant commandés. Je ne pris avec moi qu’un seul de mes gens, un certain Rascal. C’était un insigne vaurien, mais adroit, expéditif, industrieux. Il avait su se rendre nécessaire, et d’ailleurs il ne pouvait se douter de ce qui venait d’arriver. Je laissai derrière moi, cette nuit-là même, plus de trente lieues de pays. Bendel était resté pour congédier mes gens, répandre de l’or, régler mes affaires, et m’apporter tout ce dont on a besoin en voyage. Quand, le jour suivant, il m’eut rejoint, je me jetai dans ses bras et lui jurai, sinon de ne plus faire de sottises, du moins d’être plus circonspect à l’avenir. Nous poursuivîmes jour et nuit notre route, passâmes la frontière, traversâmes les montagnes, et ce ne fut qu’après avoir mis cette barrière entre le théâtre de mes infortunes et moi, que je consentis à m’arrêter pour respirer. Des bains que l’on disait peu fréquentés se trouvaient dans le voisinage. Ce fut là où je résolus de me rendre pour me remettre de mes fatigues.