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IV

Je serai forcé de glisser rapidement sur une époque de mon histoire où je trouverais tant de plaisir à m’arrêter, si ma mémoire pouvait suffire à retracer ce qui en faisait le charme. Mais les couleurs dont elle a brillé sont ternies pour moi, et ne sauraient plus revivre dans mon récit. Je chercherais en vain dans mon cœur ce trouble cruel et délicieux qui en précipitait les battements, ces peines bizarres, cette félicité, cette émotion religieuse et profonde. En vain je frappe le rocher, une eau vive ne peut plus en jaillir, le Dieu s’est retiré de moi.

Oh ! de quel œil indifférent j’envisage aujourd’hui ce temps qui n’est plus ! Je me disposais à jouer dans ce lieu un personnage important ; mais, novice dans un rôle mal étudié, je me trouble et balbutie, ébloui par deux beaux yeux. Les parents, qu’abusent les apparences, s’empressent de conclure le mariage de leur fille, et une mystification est le dénoûment de cette scène commune. Tout cela me