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Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/41

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pâlir les étoiles de la nuit. Elle s’avança la première en rougissant, et, fléchissant le genou, me présenta, sur un riche coussin, une couronne de laurier, de roses et d’olivier. Je ne compris pas le compliment qu’elle m’adressa en balbutiant ; je n’entendis que les mots d’amour, de respect, de majesté ; mais le son de sa voix fit tressaillir mon cœur. Je crus retrouver, tracés dans ma mémoire, les traits déjà connus de cette figure céleste. Cependant le chœur des jeunes filles entonna les louanges d’un bon roi, et chanta le bonheur de ses peuples.

Remarque, cher ami, que cette rencontre avait lieu en plein soleil, et moi, privé de mon ombre, je ne pouvais me précipiter hors de cette prison roulante où j’étais enfermé ; je ne pouvais tomber à mon tour aux genoux de cette angélique créature ; oh ! que n’aurais-je point en cet instant donné pour avoir mon ombre ! il me fallut cacher dans le fond de mon carrosse ma honte et mon désespoir. Bendel prit enfin le parti d’agir en mon nom ; il descendit, et, comme interprète de son maître, déclara que je ne devais ni ne voulais accepter de tels témoignages de respect, qui ne pouvaient m’être adressés que par une méprise ; mais que cependant je remerciais les habitants de la ville de leur obligeant accueil. Je tirai de mon écrin, qui était à ma portée, un riche diadème de diamants, destiné naguères à parer le front de la belle Fanny, et le remis à mon orateur. Il prit sur le coussin la couronne qui m’était présen-