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Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/43

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que l’on espérait que je voudrais bien pardonner aux habitants en faveur de leur bonne intention.

La chose parut si plaisante à mon coquin, que, par ses discours insidieux et ses graves remontrances, il fit tout ce qui dépendait de lui pour affermir ces bonnes gens dans leur opinion. Il me rapporta ces nouvelles avec beaucoup de gaîté, et voyant qu’il me divertissait, il alla jusqu’à se vanter de son espièglerie. Faut-il l’avouer ? j’étais en secret flatté des honneurs que je recevais, bien que je susse qu’ils s’adressaient à un autre.

J’ordonnai de préparer pour le lendemain au soir, sous les arbres qui ornaient la place où donnaient mes fenêtres, une fête, à laquelle je fis inviter toute la ville. La vertu secrète de ma bourse, l’activité de Bendel, l’adresse inventive de l’ingénieux Rascal, levèrent tous les obstacles, et triomphèrent de la brièveté du temps. Tout s’arrangea avec un ordre et une précision admirables. Magnificence, délicatesse, profusion, rien ne manqua. L’illumination brillante était disposée avec tant d’art, que je n’avais rien à craindre ; je n’eus, en un mot, que des louanges à donner à mes serviteurs.

À l’heure indiquée, tout le monde arriva, et chaque personne me fut présentée. Le mot de Majesté ne fut plus prononcé, mais chacun me salua avec le plus profond respect sous le nom de comte. Que pouvais-je faire ? J’acceptai le titre, et me laissai nommer le comte Pierre. Cependant, au milieu de cette foule empressée