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et joyeuse, mon âme ne soupirait qu’après un seul objet. Elle parut enfin, bien tard au gré de mon impatience, celle qui, digne de la couronne, en portait sur son front le simulacre — le diadème que Bendel avait échangé contre l’offrande de cette bonne ville. Elle suivait modestement ses parents, et semblait seule ignorer qu’elle était la plus belle. On me nomma M. l’inspecteur des forêts, Madame son épouse et Mademoiselle sa fille. Je réussis à dire mille choses agréables et obligeantes aux parents, mais je restai devant leur fille muet et déconcerté, comme l’enfant qui vient d’être pris en faute ; enfin je la suppliai, en balbutiant, d’honorer cette fête en y acceptant le rang dû à ses grâces et à sa beauté. Elle sembla, d’un coup d’œil expressif et touchant, réclamer mon indulgence ; mais aussi timide qu’elle-même, je ne pus que lui offrir en hésitant mes hommages comme à la reine de la fête. La beauté de mon choix réunit facilement tous les suffrages ; on adora en elle la faveur et l’innocence, qui a bien aussi sa majesté. Les heureux parents de Mina s’attribuaient les respects que l’on rendait à leur fille. Quant à moi, j’étais dans une ivresse difficile à décrire. Sur la fin du repas, je fis apporter dans deux bassins couverts toutes les perles, tous les bijoux, tous les diamants dont j’avais autrefois fait emplette pour me débarrasser d’une partie de mon or, et je les fis distribuer, au nom de la reine, à toutes ses compagnes et à toutes les dames. Cependant, du haut des différents buffets élevés derrière les tables, on jetait sans