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interruption des pièces d’or au peuple rassemblé sur la place.

Bendel, le lendemain matin, me prévint en confidence que les soupçons qu’il avait conçus depuis long-temps sur la fidélité de Rascal s’étaient enfin changés en certitude ? — « Hier, pendant la fête, me dit-il, je l’ai vu détourner et s’approprier plusieurs sacs pleins d’or. » — « N’envions point, lui répondis-je, à ce pauvre diable, le chétif butin qu’il a pu faire. J’en enrichis bien d’autres, pourquoi celui-là ne tirerait-il pas parti de la circonstance ? Il m’a bien servi hier, ainsi que les gens que tu as nouvellement attachés à mon service ; ils ont tous contribué à ma joie, il est juste qu’ils y trouvent leur profit. »

Il n’en fut plus question. Rascal resta le premier de mes domestiques, car Bendel était mon confident et mon ami. Celui-ci s’était accoutumé à regarder mes richesses comme inépuisables, sans jamais s’enquérir quelle en pouvait être la source. Se conformant à mes caprices, il m’aidait à inventer des occasions de faire parade de mes trésors et de les prodiguer. Quant à l’inconnu, il savait seulement que je croyais ne pouvoir attendre que de lui la fin de mon opprobre. Il me voyait en même temps redouter cet être énigmatique en qui je mettais ma dernière espérance, et persuadé de l’inutilité de toute perquisition, me résigner à attendre le jour que lui-même m’avait fixé pour une entrevue.

La magnificence de ma fête et la manière