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Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/47

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vironnait, et des profusions immenses de tous genres par lesquelles je me soumettais tout, je vivais dans l’intérieur de ma maison très solitaire et très retiré ; je m’étais fait une règle de la plus exacte circonspection : personne, excepté Bendel, n’entrait sous aucun prétexte que ce fût dans la chambre que j’habitais. Je m’y tenais, tant que le soleil éclairait l’horizon, exactement renfermé avec mon confident, et l’on disait que le comte travaillait dans son cabinet ; on supposait que les nombreux courriers que j’expédiais pour les moindres futilités étaient porteurs des résultats de ce travail. Je ne recevais que le soir, dans mes salons ou dans mes jardins illuminés avec éclat, mais toujours avec prudence, par les soins de Bendel, et toujours surveillé par ses yeux d’Argus ; je ne sortais que pour suivre la jolie Mina au jardin de l’inspecteur des forêts, car mon amour faisait le seul charme de ma vie.

Oh ! mon cher Adelbert ! j’espère que tu n’as pas encore oublié ce que c’est que l’amour ! Je te laisserai ici une grande lacune à remplir. Mina était en effet une bonne, une aimable enfant ; j’avais enchaîné toutes les puissances de son être. Elle se demandait, dans son humilité, comment elle avait pu mériter que je jetasse les yeux sur elle. Elle me rendait amour pour amour ; elle m’aimait avec toute l’énergie d’un cœur innocent et neuf. Elle m’aimait, comme les femmes savent aimer : s’ignorant, se sacrifiant elle-même, sans savoir ce que c’est qu’un sacrifice, ne songeant qu’à l’objet