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aimé, ne vivant qu’en lui, que pour lui : oui, j’étais aimé !

Et moi cependant, oh ! quelles heures terribles, heures pourtant que rappellent mes regrets, j’ai passées dans les larmes, entre les bras de Bendel, depuis que, revenu d’une première ivresse, je fus rentré dans moi-même ! Moi, dont le barbare égoïsme, du sein de mon ignominie, abusait, trahissait, entraînait après moi dans le précipice cette âme pure et angélique. Alors je prenais la résolution de m’accuser moi-même devant elle ; ou soudain je faisais le serment de m’arracher de ces lieux, de fuir pour jamais sa présence ; puis, je répandais de nouveaux torrents de larmes, et je finissais par concerter avec Bendel les moyens de la revoir le soir même dans le jardin de son père.

D’autres fois je cherchais à me flatter de l’espérance de la visite prochaine de l’homme en habit gris ; mais mes larmes coulaient de nouveau, lorsque en vain j’avais essayé de me repaître de chimères. J’avais sans cesse devant les yeux le jour qu’il avait fixé pour me revoir, jour aussi redouté qu’impatiemment attendu. Il avait dit : d’aujourd’hui en un an, et j’ajoutais foi à sa parole.

Les parents de Mina étaient de bonnes gens, qui, sur le retour de l’âge, n’avaient d’autre affection que le tendre amour qu’ils portaient à leur fille unique. Notre amour les surprit avant qu’ils s’en fussent avisés, et, dominés par les événements, ils ne savaient à quoi se résoudre. Il ne leur était pas d’abord venu dans l’esprit