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VI

Je donnai un libre cours à mes larmes. Elles soulagèrent enfin mon cœur du poids insupportable qui l’oppressait. Cependant je ne voyais aucun terme à ma misère, et je me nourrissais, avec une sorte de fureur, du nouveau poison que l’inconnu venait de verser dans mes blessures. Mon âme appelait à grands cris l’image de Mina, cette image douce et chérie. Elle m’apparaissait pâle, éplorée, telle que je l’avais vue pour la dernière fois au jour de mon ignominie. Alors s’élevait effrontément entre nous le fantôme moqueur de Rascal. Je couvrais mon visage de mes mains ; je fuyais à travers les bruyères ; mais l’effroyable vision s’attachait à mes pas et me poursuivait sans relâche. Hors d’haleine, je tombai enfin sur la terre, où je me roulai avec le délire d’un insensé.

Et tant de maux pour une ombre ! pour une ombre, qu’un seul trait de plume m’aurait rendue ! Quand je songeais à l’étrange proposition de l’inconnu et à mon refus obstiné, je ne trou-