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une longue histoire à vous faire. Bonsoir donc pour aujourd’hui. Au plaisir de vous revoir, et bientôt ! »

J’avais sonné à plusieurs reprises ; je vis une lumière en mouvement. Bendel demanda qui était là ; lorsque cet excellent serviteur eut reconnu ma voix, à peine put-il contenir ses transports. La porte s’ouvrit et nous tombâmes, en pleurant, dans les bras l’un de l’autre. Je le trouvai très changé. Il était faible et malade. Pour moi, mes cheveux étaient devenus tout gris. Il me conduisit à travers ces vastes appartements, entièrement dévastés, à un cabinet intérieur qui avait été épargné. Il y apporta quelque nourriture, et, s’étant assis près de moi, il recommença à pleurer. Il me raconta que l’homme grêle en habit gris, qu’il avait surpris avec mon ombre, l’avait entraîné à sa suite très loin et très long-temps, jusqu’à ce que, tombant de lassitude et ne pouvant plus retrouver mes traces, il fût réduit à prendre le parti de se traîner chez moi pour m’y attendre ; que bientôt la populace, soulevée et ameutée par Rascal, avait assouvi sa fureur en brisant les fenêtres et les meubles de mon hôtel ; que mes gens s’étaient dispersés ; que la police m’avait banni comme suspect, et m’avait assigné vingt-quatre-heures pour sortir du territoire. Voilà comment ils avaient reconnu tous mes bienfaits.

À ce que je savais déjà de la fortune et du mariage de Rascal, il ajouta quelques circonstances que j’ignorais encore. Ce scélérat, auteur de tous les désastres qui venaient de fondre