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sur moi, semblait avoir connu mon secret dès le principe, et ne s’être attaché à moi que par attrait pour l’or. Il s’était probablement procuré une clef de l’armoire où étaient jadis cachées mes richesses, et avait dès lors jeté les fondements d’une fortune qu’il pouvait aujourd’hui négliger d’augmenter.

Ce récit, Bendel l’avait entrecoupé de bien des larmes. Lorsqu’il l’eut achevé, il en répandit de nouvelles, mais de la seule joie que lui causait mon retour, car il avait craint de ne plus me revoir, et frémi des extrémités auxquelles aurait pu me porter l’adversité qu’il me voyait aujourd’hui supporter avec calme. Tel était, en effet, le caractère qu’avait pris en moi le désespoir. Mon infortune se présentait à moi comme une fatale nécessité ; je n’avais plus de larmes à lui donner ; aucun gémissement, aucun cri, ne pouvait plus sortir de mon sein. Je courbais avec une apparente indifférence une tête dévouée sous la main invisible qui m’opprimait.

« Bendel, lui dis-je, tu connais mon sort. Je n’ai pas laissé de provoquer le châtiment qui me poursuit. Je ne veux pas t’associer plus long-temps à ma destinée, toi dont le bon cœur et l’innocence méritent un meilleur sort. Selle-moi un cheval ; je vais partir. Séparons-nous ; je le veux. Il doit encore rester ici quelques caisses remplies d’or, garde-les ; pour moi, je vais seul et sans but parcourir le monde. Si jamais je revois des jours plus sereins, si le bonheur daigne encore me sourire, alors je