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kourtke noire, que j’avais portée jadis à Berlin, et qui, je ne sais comment, m’était tombée sous la main le jour où j’avais quitté les bains. J’avais un bonnet de voyage sur la tête, et une paire de vieilles bottes à mes pieds. Je me levai, coupai un bâton d’épines à la place même où j’étais, en mémoire de ce qui s’y était passé, et je me mis sur-le-champ en route.

Je rencontrai dans la forêt un vieux paysan, qui me salua cordialement ; je liai conversation avec lui. Je m’informai, comme le fait un voyageur curieux et à pied, d’abord du chemin, ensuite de la contrée et de ses habitants ; enfin, des diverses productions de ces montagnes. Il répondit à toutes mes questions en bon villageois et avec détail. Nous arrivâmes au lit d’un torrent qui avait ravagé une assez vaste étendue de la forêt. Ce large espace éclairé par le soleil me fit frissonner intérieurement. Je laissai mon compagnon passer devant moi, mais il s’arrêta au milieu de cette dangereuse traversée, et se retourna vers moi, pour me raconter l’histoire et la date du débordement dont nous voyions les traces. Il s’aperçut bientôt de ce qui me manquait, et s’interrompant dans sa narration : — « Comment donc ? dit-il. Monsieur n’a point d’ombre ? — Hélas ! non, répondis-je en gémissant ; je l’ai perdue, ainsi que mes cheveux et mes ongles, dans une longue et cruelle maladie. Voyez, brave homme, à mon âge, quels sont les cheveux qui me sont revenus : ils sont tout blancs ; mes ongles sont encore courts, et pour mon ombre, elle ne veut