Page:Champfleury - Grandes Figures d’hier et d’aujourd’hui, 1861.djvu/267

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saura pas plus les noms des bourgeois d’Ornans que l’artiste qui voyage en Hollande ne connaît les noms des personnages du tableau de Van der Helst.

Quant à la laideur prétendue des bourgeois d’Ornans, elle n’a rien d’exagéré ; c’est la laideur de la province, qu’il importe de distinguer de la laideur de Paris. Tout le monde s’écrie que les bedeaux sont ignobles. Parce qu’il y a un peu de vin dans leurs trognes… La belle affaire ! Le vin donne un brevet à ceux qui l’aiment, et il colore d’un rouge puissant le nez des buveurs ; c’est la décoration des ivrognes. Jamais un nez rouge n’a été un objet de tristesse. Ceux-là qui ont le nez rouge ne baissent pas la tête en signe de honte ; d’ordinaire ils la relèvent, convaincus qu’ils inspirent de la joie à leurs concitoyens. Les bedeaux d’Ornans sont vêtus de robes rouges et de toques, comme des présidents de la Cour de cassation ; et c’est ce qui a indigné quelques gens sérieux, qui, dans leur erreur, s’indignaient de voir des magistrats porteurs de pareils nez. On ne se trompe pas de la sorte. Les juges, quoique en dehors des tribunaux ils soient rarement plaisants, n’offrent pas de ces figures vineuses où l’oeil et l’oreille, indifférents aux choses extérieures, semblent prêter grande attention à des fumées intérieures. Chaque profession a son nez ; et il faut être bien pauvre d’idées physiognomoniques pour donner le nez d’un bedeau à un magistrat.

Ces bedeaux m’amusent singulièrement, ils me réjouissent, donc ils ne sont pas laids. Non, tu n’es pas laid, Pierre Clément, avec ton nez plus rouge que ta robe ; console-toi, Jean-Baptiste Muselier, de ce que disent les folliculaires ; entre au cabaret et bois une bou-