Page:Champfleury - Richard Wagner, 1860.djvu/7

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gieusement ; de cette personnalité allemande et modeste jaillit une sorte de charme particulier auquel nous ne sommes guère habitués.


Cet homme, je le sens, n’a rien de commun avec les compositeurs excentriques qui s’habillent bizarrement, essayent d’influencer la salle par un regard satanique et secouent une longue crinière, plate comme des baguettes de tambour ou frisée comme un caniche.

Wagner s’est à peine tourné vers le public, sinon pour le saluer, et il est en train de donner ses dernières instructions aux musiciens groupés autour de lui.


Que se passe-t-il dans l’esprit de l’artiste qui tourne le dos au public, et qui va dans cinq minutes être jugé par des Parisiens, c’est-à-dire des êtres qui veulent être amusés avant tout, et dont les représentants les plus immédiats, les directeurs de théâtre, ont protesté de tout temps contre les tentatives nouvelles ?

En cinq minutes, un jugement peut être rendu par ce jury frivole contre un homme qui donne en une heure le résultat de trente ans d’études, de souffrances et d’abnégation.


Et les musiciens qui n’ont répété que trois fois ces œuvres nouvelles !

Et les choristes mâles, qui sont d’honnêtes Allemands amateurs, qu’on a réunis à la hâte pour le concert !

On parle des émotions du condamné à mort quand le juge vient lui signifier que le moment fatal est arrivé. L’Art renferme des émotions non moins cruelles qui se répètent journellement.


Je n’ai pas le programme du concert sous mes yeux ; par