Page:Champollion - Panthéon égyptien, 1823.djvu/128

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des noms tirés de leur propre mythologie, suivirent des règles constantes fondées sur une ancienne communication entre les deux peuples, assimilent constamment à leur déesse Létô (la Latone des Romains), celle que l’on appelait Bouto parmi les Égyptiens[1] ; comme cette dernière, la Létô des Grecs passait pour être la mère du Soleil (Apollon). Enfin l’identité de ces deux personnages sera complètement prouvée, si nous recherchons l’expression symbolique que chacun des deux peuples rattachait à ces déesses. Selon les Grecs qui, en cela comme dans les attributions données à la plupart de leurs dieux, se sont conformés aux vieilles traditions égyptiennes, Létô était le symbole de la Nuit, ou plus directement, des ténèbres primordiales qui enveloppaient le monde[2] : c’est sous un pareil point de vue que les Égyptiens considérèrent Bouto, ainsi que le prouve incontestablement le choix seul de l’animal qui devint son symbole vivant. La mygale, ou musaraigne, fut l’emblême de la Latone égyptienne, et les corps embaumés de ces animaux sacrés étaient déposés dans les sépulcres de la ville éponyme de Bouto[3]. On a cherché, dans les temps anciens, à expliquer cette consécration, en disant que la déesse s’était métamorphosée en mygale pour échapper à la rage de Typhon[4] ; mais cette idée-là est purement grecque, et Plutarque nous a conservé à cet égard la véritable tradition égyptienne. « La Mygale, dit-il, a reçu des honneurs divins parmi les Égyptiens, parce que cet animal est aveugle, et que les Ténèbres sont plus anciennes que la Lumière »[5]. La mygale, et par conséquent la déesse Bouto, furent donc le symbole de l’antique nuit, des ténèbres primordiales antérieures à la lumière.

Ces divers textes d’anciens auteurs, et presque tous ceux que nous aurons l’occasion de rapporter dans l’explication des planches relatives à la déesse Bouto, ont été rapprochés par Jablonski qui les cite dans son Panthéon[6]. Mais ce savant mythographe, sacrifiant à son système favori qui fut de ne voir, dans la plupart des déesses égyptiennes, que les emblèmes des diverses phases de la Lune, a récusé, sans raison, les témoignages de l’antiquité, et prononçant arbitrairement que le passage de Plutarque sur la mygale n’était point conforme à la doctrine des Égyptiens, a prétendu reconnaître dans Bouto, non la Nuit personnifiée, ce qu’elle était réellement, mais une simple allégorie de la Pleine-Lune[7]. On peut voir dans l’explication de nos planches 14 (A), (B) et (C), que la Lune, divinité mâle chez les Égyptiens, ne pût avoir que des rapports très-éloignés avec la série entière des déesses égyptiennes.

  1. Hérodote, liv. II, § CLVI.
  2. Phurnutus, de Natura Deorum, cap. II. — Plutarque, de festo Dedal. apud platœ enses.
  3. Hérodote, liv. II. §. LXVII.
  4. Antoninus Liberalis, fab. 28.
  5. Plutarque, Sympos., lib. IV, quæst. V.
  6. lib. III, cap. IV.
  7. Idem. §. 8, 13.