Page:Champsaur - Homo-Deus, Ferenczi, 1924.djvu/27

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La figure du domestique, à cette nouvelle, ne refléta aucun étonnement. La maison était accueillante, le Maître prodigue, et il n’était pas rare que des gens de mondes très divers fussent les hôtes du « Nid Rouge ». Frédéric songea même qu’ils ne venaient pas toujours en auto : il s’en fallait.

— Eh bien ! ajouta Fortin en descendant, tu as l’habitude de ces imprévus. Débrouille-toi.

Sans répondre, Frédéric se précipitait à la portière de la limousine. Ses yeux emplis d’une joie soudaine :

— Monsieur Vanel !... Ah que je suis content !...

— Frédéric !... Tu es toujours le même, vieux.

Marc Vanel tendit les mains au domestique. Il avait l’air un peu ému. Le docteur Fortin s’en aperçut.

— Ah ! Ah ! fit-il, ça te fait tout de même quelque chose, hein ! de revoir la vieille famille ?...

— Oui, répondit Marc d’une voix sourde, on se trompe sur soi-même. On imagine s’être cuirassé, insensibilisé, parce qu’on a souffert au milieu de faces anonymes, très loin, et qu’on a volontairement mis des barrières entre le passé et soi... On croit avoir aboli ses sentiments, on s’imagine devenu sceptique et misanthrope, et l’on est heureux de ce nouvel état qui protège contre la douleur... Et puis, un soir, il suffit de la vue d’un vieux parc à l’abandon, pareil, à quelques mauvaises herbes près, au vieux parc dans lequel on rêva jadis, pour vous remuer le cœur. Il suffit de revoir une maison en ruines où l’on vécut, autrefois, des heures laborieuses, pour vous chavirer l’âme... Et le bonjour du brave serviteur, qui se souvient, vous remue, sans le vouloir, jusqu’au tréfonds de l’être...

— Une preuve, mon cher, que tu nous aimais bien, fit le docteur Fortin.

— Et qu’on vous aime bien aussi, monsieur Vanel, renchérit le domestique. C’est pour cela que vous êtes