Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/37

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introduction de la symphonie classique et l’exorde du poème symphonique on trouve, mutatis mutandis, la même différence et, somme toute, le même progrès qu’entre l’ouverture de l’ancien opéra, simple prélude indifférent et étranger au caractère de l’œuvre et celle qui, depuis Gluck[1], Mozart, Beethoven, pour mener à Weber et aboutir à Wagner, se soude par avance à la pièce. Ce caractère de l’exorde était déjà frappant dans le Tasso, où nous avons vu le thème initial, bref et solennel, devenir plus tard le menuet si élégant et cambré qui évoquait la cour de Ferrare. Le trait est plus large encore dans les Préludes, où il ne relève que du sentiment.

D’une façon générale, d’ailleurs, les Préludes sont sans doute le plus remarquable, en tout cas le plus significatif des douze « poèmes symphoniques ». Ils le sont par leur sujet dépouillé de toute matière pittoresque ou anecdotique et purement affectif. Le titre, détaché de la courte phrase qui suffit à l’expliquer, resterait peut-être obscur, sinon ambigu[2], bien que le terme même de « prélude », emprunté par Lamartine à la musique, en soit comme une chrysalide. À part cela, les thèmes sont si nets, si expressifs, si chaleureux, si bien éclairés par les harmonies et les timbres, qu’ils parlent d’eux-mêmes le langage le plus direct ; leurs variations restent à leur tour si spontanées, si logiques et si claires que l’argument peut tomber, comme l’écorce du fruit mûr, sans que l’œuvre en perde rien, car elle fait se succéder des phases de sentiment que, sur quelque plan si humble, à quelque niveau si modeste que se soit déroulée son existence, chaque être humain a traversées pour son compte.

Ces variations, avec les nuances de sentiment qu’elles reflètent, ce sont celles mêmes dont nous trouvons tant d’exemples dans les dernières œuvres de Beethoven, sonates (en particulier op. 109 et [3]), quatuors (en par-

  1. Et en France le Déserteur de Monsigny.
  2. Reyer, dans un feuilleton, parle ainsi d’un des Préludes de Liszt, qu’il aurait entendu à Bade…
  3. La canzonetta qui termine l’op. 111 n’est elle-même qu’une variation ou a été précédée par une variation, la vingt et unième des Trente-trois Variations pour