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n’a jamais fait, car il tombait volontiers dans la prolixité, soit qu’il tint lui-même la plume, soit qu’il la confiât à la comtesse d’Agoult ou à la princesse de Wittgenstein.

Mais cette formule ne définit encore que l’objet du poème symphonique. Reste à fixer les conditions qui permettent à cet objet de se réaliser.

Par opposition avec les trois ou quatre morceaux de la symphonie classique, la première de ces conditions est l’unité. Le poème symphonique ne doit comporter qu’un morceau, pour permettre à l’idée ou au symbole qui l’inspire de se développer d’un trait, sans coupure et sans interruption. Cela est si vrai, que Liszt lui-même n’a pas donné le titre de « poème symphonique » à des œuvres où il en appliquait pourtant les procédés et le style : la Faust-Symphonie, la Dante-Symphonie, les deux Épisodes d’après le Faust de Lenau (la Valse de Méphisto et la Processton nocturne) ; la Faust-Symphonie se compose, en réalité, de trois poèmes symphoniques, chacun des trois morceaux caractérisant un des trois personnages principaux du drame, Faust, Gretchen[1] et Méphisto ; la Dante-Symphonie partage aussi ses deux mouvements entre l’Enfer et le Purgatoire.

L’unité est donc essentielle à la définition du poème symphonique ; mais cette unité n’est pas formelle, externe et seulement celle d’un cadre. Elle doit résumer, condenser, une œuvre totale ou une pensée unique : c’est l’unité d’action de la tragédie classique. Tel ne sera pas le cas des deux Épisodes, qui n’embrassent pas tout le poème de Lenau, mais n’en rappellent l’un et l’autre qu’une scène isolée.

Inversement, le prédicat de « symphonique » suppose et impose l’orchestre, excluant ainsi du poème symphonique des œuvres qui en suivent la poétique, mais au piano, entre autres, mainte page des Années de pèlerinage (par exemple la Chapelle de Guillaume Tell, la Vallée

  1. Dont le thème délicieux reparaîtra, à la fin du troisième morceau, pour chanter l’Éternel féminin.