Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/69

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Un thème naïf et calme comme celui d’une légende populaire encadre cette aventure musicale : on y croit entendre, au début, « il était une fois » et, à la fin, l’oraison funèbre d’un sacripant qui était « au demeurant le meilleur fils du monde[1] ».

Le plus ouvragé, le plus tourmenté, le plus détaillé des poèmes symphoniques de Richard Strauss, et qui n’en porte même pas le titre, est celui où la musique se suffit le mieux à elle seule, pour faire en effet un poème. Cela tient à deux raisons, l’une technique, l’autre plus profonde. Le nom seul d’Eulenspiegel évoque, pour chacun, les marmousets dont les huchiers allemands du xvie siècle ont orné les stalles des cathédrales, magots tors et retors, cagneux, gibbeux, chez qui la bosse semble n’être que le ressort du bond : du Villon en bois sculpté. Un motif contorsionné, qui tour à tour serpente et jaillit, évoque à merveille tous ces aspects, sans qu’il soit besoin ici de fixer chaque variation sur un épisode. Mais l’unité — essentielle au poème symphonique — subsiste et circule sous toutes ces grimaces : le rachis d’un bossu, si tordu qu’il soit, n’en reste pas moins, lui aussi, une colonne vertébrale. Enfin Till est un personnage si familier au public allemand et si légendaire même ailleurs, que son nom suffit, mieux que celui de Prométhée, d’Hamlet, de Don Juan, de Don Quichotte, à évoquer des souvenirs et des images que la musique suscite parce qu’elle les retrouve.

Si, dans Don Juan, Macbeth, Don Quichotte et Till Eulenspiegel, Richard Strauss pousse au dernier degré, en musique, les expériences de suggestion concrète, pour suivre des épisodes, analyser des actions, dessiner des détails, il déploie dans Ainsi parla Zarathoustra[2] un même effort de suggestion abstraite.

L’attrait ou le défi — pour un artiste hardi et géné-

  1. En cela et en plus d’un autre passage, Till rappelle la charmante comédie musicale de Richard Strauss, la Disette du feu, qui se passe au temps de Till.
  2. Richard Strauss donne à son Zarathoustra le titre de « poème musical (Tondichtung) librement d’après Fried. Nietzsche ».