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DE LA NOUVELLE-FRANCE

directement ou indirectement, des boissons enivrantes sous peine d’amende arbitraire la première fois et de punition corporelle en cas de récidive. En conséquence, le Conseil, à plusieurs reprises, porta des sentences sévères contre les violateurs de ces arrêts, les condamnant à l’amende, à la prison, à des punitions corporelles. Talon était présent et concourait dans ces condamnations. Mais une évolution regrettable s’opérait dans son esprit. De jour en jour il devenait plus sensible aux avantages matériels de la traite, et moins touché de ses inconvénients moraux. En outre l’excommunication épiscopale l’offusquait. À ses yeux elle constituait une entreprise du pouvoir spirituel sur l’autorité civile. Nous savons que telle était sa prédisposition malheureuse. Bref, sous l’empire de ces sentiments divers, il en vint à considérer comme une erreur les prohibitions portées contre la traite de l’eau-de-vie : erreur préjudiciable au commerce, au progrès de la colonie, à l’influence française sur les peuplades indigènes. Tels étaient les arguments que faisaient valoir les partisans de la traite. Suivant eux, refuser de donner de l’eau-de-vie aux sauvages, c’était laisser les Anglais attirer chez eux tout le trafic des pelleteries, source de plantureux bénéfices. C’était par conséquent entraver le développement du pays. La traite faisait affluer le castor ; le castor servait aux échanges, activait le négoce, appelait dans la colonie un grand nombre de marchands, de commis, qui consommaient les produits de la terre et répandaient beaucoup d’argent. En outre, les pelleteries constituaient le principal article d’exportation du Canada. Leur abondance grossissait le revenu public et augmentait le nombre de vaisseaux employés dans