Page:Charbonneau - Aucune créature, 1961.djvu/101

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incompris. Mais les expériences auxquelles il se référait alors et qui lui revenaient en ce moment à l’esprit, concernaient des ménages parfaitement accordés, fondés sur l’amour et une estime réciproque et où les conjoints étaient encore jeunes. L’homme avait tout rejeté pour suivre une femme. Celle-ci ne venait pas combler un besoin, une insatisfaction sentimentale ou sensuelle, mais c’était au contraire elle qui apportait le besoin, le suscitait dans l’homme aimé et se trouvait ensuite seule à pouvoir le combler. Un tel amour ne pouvait survenir que d’une façon imprévue. Il éclatait au centre d’un monde ordonné ; il ressemblait par son caractère fortuit, à une intervention des dieux ; il était inexpliqué et inexplicable, gratuit et dévastateur.

Dans son roman, il avait fait allusion au philtre de Tristan, à la fatalité de l’amour quand il s’abat sur certains êtres privilégiés dont, à la vérité, il avait toujours jugé qu’il n’était pas. Mais la fatalité ne pèse-t-elle que sur les grands ? D’ailleurs, il pensa que Lucien englobait sûrement ce roman, comme les autres, dans la condamnation qu’il avait portée sur son œuvre. Et pourtant ce n’était peut-être que par cette faille, où intervenait la fa-