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Page:Charbonneau - Aucune créature, 1961.djvu/121

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vent, ne venant que rarement dans cette campagne que Béatrice Carrel ne quittait pas, même pendant la session. Il se rappela ce qu’on disait d’elle dans les salons. Il avait peu prêté l’oreille à ces propos naguère, mais il avait retenu qu’elle n’était pas aimée. Et pendant que son hôte les présentait l’un à l’autre, Georges épiait le visage et les gestes de cette femme discutée.

Elle avait de belles dents, la ligne des lèvres droite et fine, un sourire attachant. Ses yeux ne vous retenaient pas, ni ses cheveux teints et crêpelés, ni sa peau martelée sans doute par quelque reliquat de petite vérole. Tout son charme résidait dans sa bouche, la vivacité de son expression et cette façon en perdant le souffle de dire ah ! au bout de ses phrases. Quelque chose attirait en elle, une secrète souffrance, une blessure qu’il devina de nature érotique, une fêlure à la commissure de l’âme. C’était une sorte d’appel qu’il avait entendu dès le premier instant, à dépasser cette muraille du corps derrière laquelle elle criait sa solitude, à rejoindre derrière la chair angoissée une âme affamée d’affection. Elle n’avait pas eu d’enfant.

Les mondaines disaient qu’elle n’avait jamais accepté son rôle d’épouse du chef d’un