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ET LES JOURS

Pierre est assis dans le salon entouré de lambris sombres, de meubles massifs et noirs, séparés du reste du logis par des portières de verre filé. Du plafond, descend un énorme lustre à pendeloques de couleur. Près de l’unique fenêtre, dans un bocal de verre rectangulaire, travaillent des petits animalcules, appelés communément abeilles à vin. Au mur pendent des colifichets de liège et des reproductions encadrées. Les meubles sans noblesse s’effilochent. Eugénie Massénac se pavane au milieu de ces laideurs en robe violette. Pierre ne la voit pas, tout absorbé qu’il est dans ses pensées, plus sinistres que le décor.

Il est le fils d’une femme de ménage qui l’a vendu. Eugénie et Bernard ne savent pas qu’il le sait. Aussi ne s’expliquent-ils pas sa taciturnité. En apprenant la vérité, il a été accablé, il a pensé à se tuer.

Ne pouvant continuer d’aimer Eugénie comme sa mère, maintenant qu’il sait qu’elle n’a pas le droit à ce nom, il se tourne contre elle avec toute l’ardeur qu’il a mise jusque là à l’aimer. Il aurait pu l’aimer pour elle-même car elle est bonne pour lui. Mais elle a surpris sa confiance. Cet amour qu’elle lui ins-