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PRÉFACE.

Les Grecs avaient figuré l’âme à la sortie du corps sous la forme d’un petit fantôme, l’eidôlon[1] gardant la ressemblance du corps, ou bien sous les traits d’une petite figure nue, ailée et toujours peinte en noir. Il semble que ce dernier mode de représentation d’une substance spirituelle ait guidé les artistes chrétiens dans leurs premières figurations du démon, lequel est reproduit sous la forme d’une sorte de génie, d’un petit être nu, parfois ailé, s’échappant soit de la bouche, soit du crâne de l’exorcisé. On en trouvera plus loin de curieux exemples.

Plus tard cette figure d’exorcisé prend des traits plus précis ; le démon a des cornes, une queue, des griffes ; il revêt même les formes d’animaux les plus étranges ; et, jusque chez les grands artistes de la Renaissance, nous retrouvons cette tradition, sous la forme de quelques petits diables qui se sauvent dans un coin du tableau. Mais ici le symbole devient l’accessoire et le démoniaque lui-même possède ces caractères de réalité saisissante sur lesquels nous aurons à insister, dans le cours du livre, à propos des peintres du XVIe siècle.

L’imagerie populaire et religieuse nous a légué un assez grand nombre de scènes de possession. Pour honorer les saints, suivant la coutume chrétienne, on avait l’habitude de les représenter dans une des circonstances de leur vie qui avaient décidé de leur sainteté ; cette circonstance devenait en outre la raison d’une dévotion toute spéciale. C’est ainsi que des saints, qui, pendant leur vie, s’étaient fait remarquer par leur pouvoir sur les malades qui nous occupent, étaient habituellement figurés exorcisant les démoniaques. Saint Mathurin fut un des plus célèbres, et son pèlerinage, à Larchant, a joui, du XIe au XVe siècle, d’une vogue extraordinaire. Selon la légende, saint Mathurin, prêtre, aurait été appelé à Rome par un empereur nommé Maximien, pour délivrer la fille du prince. C’est pourquoi il est habituellement représenté bénissant une femme tandis que le diable s’échappe du crâne ou de la bouche de la patiente. Saint Benoît, saint Ignace, saint Hyacinthe, saint Denis et bien d’autres, ont été également représentés exorcisant des possédés, ainsi que le témoignent les nombreuses estampes que nous avons trouvées à la Bibliothèque nationale et des photographies prises d’après les originaux[2].

  1. Voy. Mythologie figurée de la Grèce, par Maxime Gollignon, p.  290. — Étude sur les lécythes blancs attiques à représentations funéraires, par E. Pottier, p. 75.
  2. Dans les Recueils de gravures de sainteté de la Bibliothèque nationale, et désignés sous la rubrique « Saints et Saintes », nous avons trouvé des scènes de possession relatives à un grand nombre de saints et de saintes : saint Albert, saint Bernard, saint Benoît, saint Basle, saint Barthélémy, saint Charles Borromée, saint Diego d’Alcala, saint Didier, saint François de Paul, saint Gai, saint Ivon, saint Ignace, saint Hyacinthe, saint Jean, saint Lin, saint Mathurin, saint Nicolas, saint Pierre de Monon, saint Philippe de Néri, saint Romuald, saint Liperu, saint Thomas de Villeneuve, sainte Claire, sainte Catherine de Sienne, etc. Nous possédons dans notre collection les reproductions photographiques des plus intéressantes de ces estampes, grâce à l’habile et dévoué concours de M. A. Londe, directeur du service photographique à la Salpêtrière.