Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
DU DESSIN ET DE LA COULEUR.

écrivaient dessein, et cette orthographe intelligente disait clairement que tout dessin est un projet de l’esprit. Sous ce rapport, il est juste de dire que le dessin et la couleur sont, en peinture, ce que la mélodie et l’harmonie sont en musique, la première étant plutôt l’invention du musicien, la seconde n’étant d’ordinaire que la coloration de ses motifs. Cependant, il est des peintres célèbres qui ont la faculté de composer en couleur, pour ainsi dire, comme il est des musiciens qui pensent en harmonie. Pour eux, le vêtement de l’idée se confond avec l’idée même.

Des écrivains illustres ont propagé sur ces matières bien des erreurs, le philosophe Diderot a écrit, par exemple : « C’est le dessin qui donne la forme aux êtres : c’est la couleur qui leur donne la vie. » Mais combien d’œuvres d’art qui, sans couleur, ont cependant beaucoup de vie ! Le torse, le Laocoon, et tant d’autres antiques, sont vivants, bien que d’un seul ton ; et qui oserait dire que la vie est plus chaude dans les peintures du Titien que dans les marbres de Phidias, qui, s’ils furent colorés jadis, ne le sont plus maintenant du moins ? Une autre erreur du même philosophe consiste à dire que la couleur est un don plus rare que le dessin, et que la couleur ne s’apprend point. Si nous jetons un coup d’œil sur l’histoire de la peinture, nous y compterons, parmi les maîtres de premier ordre, d’une part, très peu d’excellents dessinateurs, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël ; d’autre part, au moins autant de coloristes excellents, le Corrège, Titien, Paul Véronèse, Rubens, et nous verrons l’école vénitienne enseigner et transmettre, durant des siècles, les prétendus secrets de la couleur. Non, la couleur n’est pas plus rare que le dessin, mais elle joue dans l’art le rôle féminin, le rôle du sentiment ; soumise au dessin comme le sentiment doit être soumis à la raison, elle y ajoute du charme, de l’expression et de la grâce. Voilà comment la peinture, qui est le dernier venu des trois arts, en est aussi le plus charmant.

Les formes que le dessin est appelé à reproduire sont toutes engendrées par la ligne droite et les lignes courbes. Pythagore, un des plus grands esprits de l’antiquité, regardait la ligne droite comme représentant l’infini, parce qu’elle est toujours semblable à elle-même, et cette pensée a pris une forme admirable dans la bouche de Galilée lorsqu’il a dit : « La ligne droite est la circonférence d’un cercle infini. » La courbe, au contraire, était regardée par Pythagore comme représentant le fini, parce qu’elle tend à revenir à son commencement. Le mariage bien assorti de ces deux lignes enfante la beauté, comme l’heureuse union de la nature et de l’homme produit l’art. Si nous regardons la scène du monde, nous y voyons la ligne droite apparaître et dominer dans tous les spectacles sublimes : les rayons du soleil et des astres, la majesté des plaines de l’Océan, les confins de l’horizon, les carreaux de la foudre, les rochers à pic, les abîmes. Mais si nous jetons nos regards sur l’homme, nous n’apercevons en lui que des ligues courbes, ondoyantes, harmo-