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ARCHITECTURE.

nous offrent le spectacle. Elles sont dues au sentiment de la beauté plutôt qu’au sentiment religieux. Dans l’imagination des Athéniens, l’Acropole était aussi haut placée que l’Olympe, et le séjour des dieux mêmes était une montagne de la Thessalie. Revêtues des beautés parfaites de la forme humaine, les divinités de la Fable étaient tout ensemble familières et adorées. Elles avaient consenti à descendre parmi les hommes, de sorte que les hommes n’avaient point à s’élever jusqu’à elles. Aussi les temples grecs, sous leur fronton doucement abaissé, ont-ils peu de hauteur. Bâtis sur un point d’où ils dominent la plaine ou la mer, ils n’ont de véritable élévation que celle de la colline ou du promontoire qui leur sert de piédestal. Ils sont toujours élevés sans être jamais hauts.

Ainsi se vérifie notre proposition que le génie des différents peuples se trahit déjà dans les seules dimensions de leur architecture. Et maintenant, des observations qui précèdent il résulte que la largeur est une qualité plutôt matérielle, tandis que la profondeur s’adresse au sentiment et la hauteur à la pensée. « À égalité, dit Schiller, les hauteurs nous paraissent plus sublimes que les longueurs, par la raison que l’idée du sublime de force s’associe nécessairement à la vue d’une hauteur. Une simple longueur, alors même qu’elle s’étendrait à perte de vue, n’a en soi rien de terrible ; mais une hauteur est terrible ; nous pourrions en être précipités ! Cependant, pour qu’une grande hauteur soit terrible, il faut d’abord que notre imagination nous transporte au sommet, et par conséquent que cette hauteur devienne pour nous une profondeur. On peut faire cette expérience en regardant un ciel chargé de nuages et mêlé de bleu, dans une nappe d’eau sombre. La profondeur immense du ciel y formera un spectacle incomparablement plus effrayant que sa hauteur… »

En architecture, la profondeur, étant horizontale, produit sur nous, au lieu d’une terreur physique, cet effet d’appréhension morale qu’engendre le mystère. Quant à la vue des grandes hauteurs, elle nous détache un instant de la terre et en désintéresse notre âme. Dans les matières de l’esprit, comme dit Joubert, la grandeur se prend de bas en haut.



IX

LA SÉVÉRITÉ DES SENTIMENTS QUE L’ARCHITECTURE INSPIRE EST EN RAISON DE LA PRÉDOMINANCE DES PLEINS SUR LES VIDES.

De même que l’art de distribuer dans un tableau les lumières et les ombres s’appelle, en peinture, le clair-obscur, de même l’art de distri-