Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

buer dans un bâtiment les pleins et les vides peut s’appeler, en quelque manière, le clair-obscur de l’architecte. C’est là un des secrets de son éloquence ; c’est par là qu’il imprime à son œuvre un caractère léger ou imposant, gai ou sombre. Et ce clair-obscur, il a une double expression : il modifie la physionomie extérieure du monument aussi bien que son aspect intérieur. Si l’on multiplie les vides, c’est-à-dire les portes, les fenêtres, les arcades, les entre-colonnements, le spectateur du dehors semble invité à tourner ses regards vers un édifice que tant d’ouvertures l’ont paraître accessible et hospitalier. En y pénétrant par la pensée, il se représente un séjour égayé par l’abondance de la lumière, et des habitants qui n’ont voulu ni se séparer du monde ni fuir les rayons du jour. Au contraire, si les pleins dominent, si les vides sont rares, une certaine tristesse et même un vague sentiment de crainte s’emparent aussitôt du spectateur ; il est envahi par l’idée de l’austérité qu’il suppose à des hôtes si bien clos, si peu jaloux de voir et d’être vus. Et cette impression se fortifie à mesure que la construction se ferme, de telle manière que, si les vides disparaissent, si les fenêtres sont absentes, l’édifice, ou plutôt l’esprit qui l’habile cesse, pour ainsi dire, d’être en rapport avec l’esprit des passants. Soit que nous descendions l’échelle de nos impressions, du gai au sombre, soit que nous passions de l’obscurité qui rembrunit nos pensées à la douce clarté qui nous déride le front, les sentiments que nous inspire une architecture quelconque sont plus ou moins sévères suivant qu’elle diminue ou qu’elle augmente le nombre de ses ouvertures.

Partout où les hommes se réunissent pour le plaisir, l’édifice accuse franchement la prédominance des vides sur les pleins, ou du moins, chose remarquable, tout ce qui n’a pu être enlevé aux nécessités d’une construction solide est racheté alors par des vides simulés, succédant aux vides véritables. Dans les lieux de fête, dans les salles de danse ou de récréation, dans les cafés, dans les foyers de théâtre, on est porté à multiplier les glaces, non pas tant pour y offrir vingt fois de suite un miroir à la beauté, que pour élargir, pour égayer l’intérieur par des ouvertures factices, et substituer ainsi à la tristesse des pleins qui arrêteraient la pensée, les vides apparents qui laissent passer le regard. Un peuple que nous considérons comme frivole et qui est certainement très sensuel, le peuple chinois, a donné à tous ses bâtiments l’aspect de la gaieté par un système de construction où le bois, étant plus employé que la pierre, fait complètement dominer les vides sur les pleins. Percée à jour de toutes parts et n’ayant guère d’autre partie entièrement pleine que la toiture, la maison chinoise semble faite à l’image d’une volière d’oiseaux familiers. L’intimité domestique y est protégée, non par des murailles, mais par des stores, et, grâce à tant de légèreté, tout y respire un bonheur paisible, une vie riante et purement terrestre, dont la