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Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/132

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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

muler les joints de leurs marbres, et savaient rendre ces joints imperceptibles. Si les joints disparaissent, on n’a plus devant soi qu’un grand mur uni ou plutôt qu’une seule pierre immense qui, ne laissant aucune prise au regard, aucun passage à la pensée, produit l’effet d’un corps impénétrable. Si les joints sont visibles, il y a quelque chose de tranquille et comme de fatal dans leur égalité constante, dans leur symétrie inexorable. Et cette impression se vérifie d’une manière frappante par la contre-épreuve. Lorsque la construction présente l’ouvrage pseudisodomum, l’inégalité des assises et la légère modification qui en résulte sont un commencement de distraction pour les yeux. L’unité austère de la construction est rompue ; elle fait place maintenant à une double symétrie. Si l’on passe à la maçonnerie maillée, au reticulatum, on y trouve l’intention évidente d’amuser l’œil par une variété qui touche au caprice : tout caractère sérieux a disparu. L’incertum, au contraire, a quelque chose de farouche dans son irrégularité brute, et il représente, pour ainsi dire, des éléments sauvages, assujettis aux besoins de l’homme civilisé, et enchaînés par la force du ciment mis en relief. Ce sentiment a été admirablement compris par l’architecte de Mazas et par les ingénieurs militaires qui ont construit en incertum la prison des Conseils de guerre, à Paris. Il est impossible de regarder ces âpres murailles sans songer qu’elles cachent une prison dure et un tribunal terrible.

Que si l’on vient aux refends et aux bossages, on est impressionné tout autrement que par l’isodomum du temple grec. La construction en bossage ne peut être imposante que si les matériaux en sont énormes, car au lieu de présenter l’idée d’un infranchissable rempart, elle semble offrir par ses saillies mêmes une invitation à l’assaut. En un instant, l’esprit la mesure et l’escalade. Ici encore, on voit clairement que l’expression d’un appareil dépend de la dimension des matériaux. Telle forme, restant la même, peut devenir gaie en petit, terrible en grand. Si le bossage dépasse la proportion humaine, il manifeste l’idée de la fortification et il la réalise ; s’il est inférieur à cette proportion, c’est une simple métaphore architectonique pour figurer la force là où elle n’est plus. Dans tous les cas, le bossage, en produisant un jeu compliqué de lumières, d’ombres et de reflets, est une simple récréation ménagée à l’œil du spectateur, et à moins de déterminer par ses contours des dimensions colossales qui révèlent une volonté fière, il ne saurait nous procurer cette impression solennelle que font sur nous les murs unis et formidables du pylône égyptien ou du temple grec.

Le plomb, le zinc, l’ardoise étant réservés à la couverture des édifices, nous aurons à en considérer plus tard les effets. Il nous reste maintenant à parler des murailles construites en pans de bois. Celles-là n’appartiennent guère au grand art parce qu’elles manquent de stabilité et ne sont