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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

suffit pas toujours d’en chercher les origines dans la construction. C’est là, sans doute, que le plus souvent on les trouve ; mais l’expression de ce grand art a d’autres causes, des causes plus subtiles, des sources plus mystérieuses et plus profondes. Toutes les formes n’ont pas été engendrées par les lois qui régissent la pesanteur et le jeu des forces, ou par celles qui corrigent les illusions de l’optique ; il est des formes que l’esprit a crées par ce besoin de poésie qui est inséparable de la nature humaine. Il en est qui expriment, non pas seulement un mécanisme inévitable, mais des pensées, des sentiments et même des rêves.

On peut concevoir un édifice qui serait parfaitement assis et bien proportionné sans avoir d’autres lignes que des droites et d’autres solides que des cubes. Ce n’est donc pas la nécessité de la construction qui peut seule exprimer le galbe de certaines formes, le caractère et la grâce de certaines courbes. L’architecture, née en Orient, s’était ressentie de l’imagination de ses inventeurs, et les Grecs, tout en soumettant au contrôle d’une raison exquise les qualités expressives d’un art qu’ils avaient mission de perfectionner, les Grecs y laissèrent l’empreinte de la poésie orientale.

Au commencement, nous l’avons dit, l’architecture humaine représente une sorte de rivalité avec la nature ; elle cherche à reproduire avec symétrie les grands spectacles de l’architecture divine. Elle rappelle le sublime des montagnes par des pyramides, le sombre des cavernes par des labyrinthes souterrains, la majestueuse tranquillité de la mer par de longues lignes horizontales, les rochers à pic par des tours, et les forêts de la nature par des forêts de colonnes… Mais, plus tard, l’humanité se connaît, s’admire et se divinise ; elle s’aperçoit qu’elle est elle-même un résumé de l’univers. Alors son œuvre la plus considérable, qui est l’architecture, est faite à son image, c’est-à-dire qu’elle représente une création analogue à celle de l’être humain. Proportionné, symétrique, composé d’os, de tendons et de muscles, harmonisé et mis en mouvement par l’unité ; de l’âme, le corps de l’homme devient un type de perfection, dont l’organisme sera imité ; par l’architecture, mais imité seulement dans son principe et dans quelques-uns des traits qui le distinguent aux yeux de l’esprit. Par une fiction hardie, l’artiste supposera dans son édifice des matières hétérogènes, associées pour constituer un tout, et comme l’architecture se compose essentiellement de supports et de parties supportées, c’est surtout par la diversité des pressions et des résistances qu’il exprimera l’organisme artificiel de son monument. Il ira jusqu’à feindre des substances molles mêlées aux corps rigides, des matières élastiques pressées par des matières pesantes, et, dans ses métaphores de pierre ou de marbre, il figurera des fibres délicates unies en faisceau et fortifiées par des ligatures. Au squelette, ou, pour dire mieux, à l’ossature mathématique du bâtiment, il ajoutera