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ARCHITECTURE.

du milieu, et de la sorte il a obtenu l’inégalité des tores et la variété de leurs courbes convexes, si bien contrastées, d’ailleurs, par la moulure concave qui les sépare et par les petites verticales que forment la ceinture et les deux filets. Il est si vrai que la scotie représente le serrement opéré par une corde enroulée, qu’on lui donne aussi le nom de trochile, du grec τρόχίλιον, poulie. Maintenant, que ces mensonges de pierre aient été inventés pour le plaisir des yeux, afin de racheter des courbes par des droites et des reliefs par des creux, il n’en est pas moins évident qu’ici le génie de l’art s’est affranchi des fatalités de la construction, et que l’utile n’a rien à voir dans ces formes dictées par le sentiment du beau. Admise par les Grecs comme une simple variété d’expression, la base des colonnes est une figure métaphorique, une autre manière de parler à l’esprit et de satisfaire le regard.

C’est pour l’architecte surtout que l’art est une haute interprétation de la nature. Tout ce qu’il veut imiter de la réalité visible, il le traduit dans sa langue, il le transpose et le transfigure. Quand il a construit son monument, quand il a feint un organisme par des proportions qui révèlent la présence secrète d’une mesure commune à tous les membres de son architecture, lorsqu’enfin il y a introduit les courbes qui mettent en évidence le jeu des forces et semblent exprimer la vie, tout n’est pas fait encore. Il lui faut des formes variées pour manifester des pensées diverses et nuancer l’expression de son monument. D’autre ; part, le monde inférieur réclame sa place dans ce temple qui doit être un résumé de l’univers, une création humaine conçue à l’instar de la création divine. Les métaux, les plantes, les fleurs, les animaux, l’homme lui-même, vont y figurer. Mais les formes que l’artiste empruntera de la nature vivante, loin de les imiter rigoureusement, il les soumettra aux lois de sa symétrie et il leur imprimera tous les caractères de sa pensée. Elles s’appliqueront à la surface des autres formes, non pour les dissimuler, mais pour les épouser au contraire, et pour accuser d’autant mieux l’intention première du constructeur. Elles viendront se ranger docilement dans les lignes déjà tracées, suivant l’axe des colonnes ou la courbure des arcs. Ainsi moulées sur le fond qu’elles doivent recouvrir en le laissant transparaître, comme l’épiderme recouvre les os et les muscles d’un corps vivant, d’innombrables images rappellent, dans l’œuvre humaine, les divers règnes de la nature, la végétation et l’animalité, les minéraux et les fleurs. On y voit les feuilles de l’olivier et du laurier, le chardon épineux, l’acanthe, le lis marin, le persil, la rose, la coquille, l’œuf, les perles, les olives, les amandes, les larmes de la pluie, les flammes et les carreaux de la foudre. Puis des feuillages imaginaires s’infléchissent et se tourmentent pour obéir aux rigides contours qui les emprisonnent. On y reconnaît aussi, transformés en pierre, des colliers, des anneaux, des fers de lance, les vis et les chevilles du charpentier, le bois des solives et des chevrons. Les ani-