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ARCHITECTURE.

les architectes des Ptolémées ! Il place l’âge d’or en pleine décadence. Or, c’est lui, notez-le bien, c’est lui seul qui a fait notre éducation ; les secrets du grand art de bâtir ne nous sont venus que par lui. De là notre tardive intelligence de l’antiquité véritable, de l’antiquité grecque. »

C’est à nous maintenant de prouver par l’analyse des faits, par leur évidence, combien sont justes ces vives paroles. Si nous comparons l’ordre dorique grec à celui que nos modernes ont hérité de Vitruve et des Romains, nous verrons que l’art et la construction, d’abord étroitement liés, peu à peu se séparent, que l’expression des formes s’altère et que le sens de l’exemplaire original disparait dans la version de l’imitateur. Et d’abord, la colonne grecque de l’ordre dorique est sans base, et elle accuse une solidité inébranlable par son implantation dans les entrailles du sol. Que l’ont les Romains ? Dès le règne de Vespasien, ils ajoutent une base à


base du dorique romain.

colisée.
colonne dorique de vignole.


la colonne, et cette base, qu’il faudrait au moins laisser ronde, ils la font reposer sur une plinthe carrée dont les angles offensent le regard par cela seul qu’ils menacent de blesser les pieds du passant. À l’idée d’implantation succède l’image d’une cale qui serait mise sous la colonne pour l’empêcher de s’enfoncer en terre, de façon qu’au lieu de surgir comme un arbre, la colonne avec sa plinthe ressemble à un étai qui serait placé après coup pour soutenir un édifice ébranlé. Nous avons vu avec quel mélange de grâce et d’énergie le chapiteau dorique représentait une ligature répétée, et comment l’échine répondait, par sa courbe brusquement terminée en ligne droite, à l’hypothèse d’une pression égale sur toute la surface du chapiteau. Eh bien, les Romains dénaturent chacune de ces formes : les fines rainures qui serraient le haut du fût sont remplacées par un astragale très saillant et au profil rond, qui représente un anneau lâche. Les secondes rainures, celles qui marquent la gorge du chapiteau et qu’on nomme annelets, au lieu d’être curieusement fouillées et profilées à facettes, ne sont plus que des entailles à angles droits. La courbe de l’échine, cette courbe indéfinissable, mais si élégante en sa fermeté, fait place à une forme boudinée, à un contour purement géométrique, sans art et sans grâce, qu’on appelle le quart de