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DE LA NATURE ET DE L’ART.



II

DE LA NATURE ET DE L’ART

Tous les germes de beauté sont dans la nature, mais il n’appartient qu’à l’esprit de l’homme de les en dégager. Quand la nature est belle, le peintre sait qu’elle est belle, mais la nature n’en sait rien. Ainsi la beauté n’existe qu’à la condition d’être comprise, c’est-à-dire de recevoir une seconde vie dans la pensée humaine. L’artiste, qui comprend le beau, est supérieur à la nature, qui le montre.

Comprendre ! c’est la grandeur de l’art. Toute notre dignité, dit Pascal, est dans notre pensée. L’histoire rapporte qu’Alexandre lit présent de la belle Campaspe à son ami Apelles, parce que, disait-il, personne ne pouvait comprendre la beauté exquise de cette femme aussi bien que le plus grand peintre de la Grèce.

Cependant, avant de traduire un poème, il faut le lire ; de même, avant de comprendre la beauté, il faut la voir.

Lorsque, ayant cessé d’avoir un langage symbolique, l’artiste s’approche de la nature pour la regarder et la dessiner, il commence par une imitation naïve des choses, et les imite dans toutes leurs parties, les trouvant toutes également admirables.

Plus tard, l’étude le rend capable de découvrir les beautés et les défauts de la nature ; il voit dans son modèle des traits caractéristiques et des parties accessoires ; il distingue l’ensemble à travers les détails ; il fait dès lors un choix dans son imitation.

Enfin, une contemplation plus profonde lui révèle les lois de la création ; il sait démêler dans les formes de la nature celles qui sont absolument belles, c’est-à-dire conformes aux desseins de Dieu. Entrevoyant alors une beauté supérieure à la beauté vraie, selon le mot d’un ancien, pulchritudinem quæ est supra veram, il purifie la réalité des accidents qui la défiguraient, des alliages qui l’avaient altérée, et il en dégage l’or pur de la beauté primitive ; il y retrouve l’idéal.

Ainsi l’art imite, ou bien il interprète, ou bien il idéalise, il transfigure. Mais entre ces deux extrêmes, l’imitation pure et l’idéal, il y a un double péril à éviter ; car, en imitant la nature de trop près, l’artiste court le danger d’en reproduire les pauvretés, et, en s’éloignant trop de la nature, il peut perdre de vue les accents de la vie.

La juste définition de l’art se trouvera donc entre la traduction littérale