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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

Rembrandt et Shakespeare, Poussin et Corneille, ont eu des accents sublimes ; mais c’était involontairement, pour ainsi dire, comme la pythonisse antique lorsqu’elle frémissait sur le trépied. Un souffle de Dieu a fait résonner leur âme en passant.

Un trait auquel on reconnaît aussi le sublime, c’est qu’il peut être traduit toujours et compris partout. Simple, il saisit le barbare aussi bien que l’homme civilisé. Issu des profondeurs de la nature, émané du divin, le sublime est absolu, impérissable. On peut faire passer dans toutes les langues le cri de Shakespeare ; « Il n’a pas d’enfants ! » et le « Qu’il mourût ! » de Corneille, parce que ces traits n’ont aucun ornement, aucun art, presque aucune forme, tandis que les beaux vers des mêmes poètes sont intraduisibles.

Le sublime, c’est comme l’infini tout à coup entrevu. Voilà pourquoi les arts du dessin, n’ayant d’existence que par la forme et emprisonnés dans ses limites, ne deviennent sublimes qu’en vertu de la pensée. Lorsque Poussin, par exemple, a écrit sur un mausolée que rencontrent d’antiques pasteurs : Et in Arcadia ego (et moi aussi je vivais dans l’Arcadie), ce n’est pas le peintre, en lui, qui a été sublime, c’est le philosophe, car l’émotion serait la même si on lisait dans un livre cet avertissement sorti des mystères de la tombe et comme soupiré par l’âme d’un mort… Dans la sculpture, on appelle sublimes, par une extension du mot, les ouvrages dont la beauté est si grande qu’elle est absolue, éternelle, admirable toujours et partout. L’architecture s’élève au sublime lorsqu’elle renonce à tout ornement pour rappeler les grands spectacles de la nature, et que, par la seule immensité de ses proportions, elle éveille en nous le sentiment de l’infini.

Oui, c’est depuis que l’homme occupe la terre avec les animaux, ses satellites, que le beau y est apparu, et c’est à l’humanité que le beau appartient ; le sublime est resté à l’univers. L’ordre et la proportion, qui sont des éléments essentiels de la beauté, ne se montrent, en effet, que dans des êtres vivants, je veux dire dans les animaux et dans l’homme. Le reste du monde nous offre le spectacle d’un désordre sublime. Les étoiles sont dispersées dans le firmament avec une incohérence qui épouvante notre imagination. Les montagnes se hérissent, comme au hasard, sur le globe, et les arbres s’élèvent capricieusement dans les forêts. Les rivières, les fleuves et les mers forment sur les continents des lignes bizarres, sans aucune régularité, au moins apparente… Mais, dès que la vie animale se manifeste dans les créatures, aussitôt la symétrie s’y fait voir ; les lignes se pondèrent ; les parties se répètent, se correspondent et s’harmonisent. C’est le beau qui sort des entrailles du sublime.