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ORIGINE ET CARACTÈRE DES ARTS DU DESSIN.

il découvre la géométrie ; en mesurant la durée, il découvre les nombres, et ces deux inventions de son esprit, dès que le sentiment les anime, deviennent deux grands arts, qui sont l’Architecture et la Musique.

Ces deux arts primaires, universels, pères de tous les autres, naissent en même temps : ils sont jumeaux, et ils sont l’un à l’autre ce que l’esprit est au corps. On a appelé l’architecture la Musique de l’étendue ; on pourrait considérer la musique comme l’architecture des sons. C’est à la fraternité des deux arts que se rapportent la gracieuse fable d’Amphion bâtissant les murs de Thêbes aux accords de sa lyre, et ce trait de la vie de Pythagore raconté par Nicomaque : ayant écouté attentivement le bruit cadencé et alternatif de trois marteaux sur une enclume, Pythagore, charmé des sons inégaux de l’airain retentissant, fit peser les marteaux et trouva dans les proportions mêmes du poids les proportions du son, tirant ainsi des lois de la gravité les secrets d’une harmonie musicale.

Au commencement des sociétés, l’architecture est conçue comme une création qui doit entrer en concurrence avec la nature et en reproduire les aspects les plus imposants, les plus terribles. Le mystère est donc la condition de son éloquence. Aussi n’accuse-t-elle aucun but final, aucune intention précise. Elle symbolise la pensée obscure de tout un peuple, et non la claire volonté de tel individu, de telle classe. Dans la civilisation compliquée des temps modernes, l’architecture se spécialise, chaque édifice affecte un caractère déterminé, et c’est même un honneur pour l’architecte que d’avoir marqué avec évidence le but de son œuvre… Il n’en était pas ainsi dans les temps antiques. Les monuments des premiers âges n’ont aucune destination apparente, ne portent aucun caractère sensible d’utilité ; ils parlent fortement aux yeux et vaguement à l’esprit. Le sacerdoce qui les avait conçus s’en était réservé la signification mystique. De même que Dieu est à la l’ois présent et voilé dans l’univers, de même la pensée de l’architecte résidait dans le temple, visible et cachée. Si les murailles se couvraient de signes empruntés de la nature, la foule n’en comprenait pas le sens, et celui-là même qui creusait sur la pierre cette écriture énigmatique n’en possédait ni la signification ni la clef. Ainsi les manifestations mêmes de l’idée étaient confiées à une littérature indéchiffrable, et le mystère s’incrustait dans le granit.

En remontant aux époques primitives, on aperçoit deux genres de construction bien distincts, l’un pour le corps, l’autre pour l’âme. À côté de l’industrie qui bâtit la demeure où l’homme renferme sa famille et sa personne, l’architecture édifie le monument qui doit résumer les croyances ou les aspirations d’un peuple entier, et qui sera l’habitation commune de toutes les âmes. On a dit souvent que, de ces deux choses, la seconde