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ORIGINE ET CARACTÈRE DES ARTS DU DESSIN.

sants de l’univers en empruntant au suprême artiste ses propres matériaux, la pierre, le marbre ou le granit, et en les employant comme lui, sous les trois dimensions, longueur, largeur et profondeur. Alors ils imitent, mais toujours de loin, ces grands spectacles de la nature qui, selon l’expression de Montaigne, ne pratiquent point notre jugement, mais le ravissent et le ravagent !

Telle est l’origine de l’architecture. C’est, tout d’abord, une nature reconstruite par l’homme. Voilà pourquoi elle commence par viser au sublime. Elle devient belle lorsqu’elle applique à son œuvre les lois et les proportions d’un autre exemplaire, le corps humain ; car, nous l’avons dit, le beau est l’apanage essentiel de l’homme ; le sublime appartient à l’univers.

Originairement tous les arts sont renfermés dans l’architecture, et ils en dépendent. Les plus anciens monuments, ceux qui sont placés à l’extrémité des siècles, le plus près du berceau de la race humaine, portent des traces de peinture, de sculpture, d’écriture. Si par la pensée nous nous transportons dans un de ces temples antérieurs à ce qu’on appelle l’histoire, nous y voyons comme un abrégé du monde, comme une image symbolique du panthéisme ou de l’émanation qui fut la religion des sociétés primitives de l’Orient. L’émanation est le dogme suivant lequel Dieu aurait fait sortir de lui-même la substance et la forme de l’univers. Cette conception de Dieu, confuse, immense, unie à un sentiment profond des énergies de la nature, détermine le caractère des premiers temples. Ils ont des proportions colossales, un sens mystérieux, et ils présentent comme un résumé de la nature entière. Sur les murailles sont gravés des végétaux de toute espèce, des êtres réels ou à moitié imaginaires, même des corps inertes. Les chapiteaux reproduisent tantôt des plantes gracieuses, tantôt des masques humains ondes têtes d’animaux. L’image de l’homme est sculptée en relief, mais rigide, immobile ; adossée au mur ou au pilier, elle fait corps avec l’édifice. Tandis que les vides, très rares, sont ménagées au jeu d’une lumière discrète qui ne pénètre le plus souvent que par des ouvertures supérieures, les pleins sont couverts de peintures, et la pierre se colore de mille nuances qui rappellent avec intensité l’azur du ciel, le vert des prairies, le plumage des oiseaux, le ton des fleurs. Mais un temple muet et sans mouvement ne réaliserait pas son type, qui est l’univers. La musique y fait donc entendre les bruits de la nature, rythmés selon les divers sentiments de l’âme humaine et devenus comme un écho du monde invisible. Il semble que l’idéal ait consenti à se manifester dans les vibrations de l’air, par une langue sans parole. Cependant, aux cadences de la musique correspondent des danses sacrées qui vont ajouter le mouvement à la création de l’artiste ; et l’architecte du temple, le prêtre qui a eu le loisir d’observer le cours des astres, d’étudier les