Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

grandes lois de la vie universelle et de les exprimer secrètement par des nombres, dirige lui-même les chœurs liturgiques qui donnent à son œuvre l’animation et la vie. « Ces chœurs, a dit de nos jours un prêtre illustre (dans l’Esquisse d’une Philosophie), représentaient par des évolutions symboliques les mouvements, tels qu’on les concevait, des corps célestes dans leurs orbites, les révolutions apparentes du soleil et de ses satellites autour de la terre, qu’il féconde, et les phénomènes généraux des puissances génératrices. »

Ainsi tous les arts sont contenus dans cet art initial, l’architecture, et de leur ensemble se dégage la poésie, c’est-à-dire le sentiment de la vie universelle, l’aspiration à l’infini. Ce sentiment, l’architecture peut l’éveiller en nous, non seulement par l’immensité de ses proportions et par l’aspect de ses masses indestructibles, qui nous procurent la notion d’une durée éternelle, mais encore par le caractère absolu de ses figures géométriques ; car, suivant la profonde remarque de Schelling, chaque cercle est identique à tous les cercles, chaque triangle est identique à tous les triangles de même espèce, et chaque carré représente tous les carrés, de sorte que les constructions mathématiques de l’architecte sont à la fois particulières et générales, unes et universelles : l’idée et le réel s’y confondent ; elles sont belles d’une éternelle beauté.

Par cette grandeur absolue des mathématiques, l’architecture semble racheter en quelque manière son infériorité à l’égard de la nature, qui fut son premier modèle. C’est la pensée qu’a exprimée, plus hardiment encore, l’auteur de l’Origine des Dieux, Edgar Quinet, lorsqu’il a dit : « L’idée du polyèdre, conçue par Pythagore ou Platon, n’a point encore été atteinte par les cristaux les plus purs des montagnes. Depuis que les globes célestes roulent dans leurs orbites, ils n’ont point poli et corrigé leurs surfaces jusqu’à égaler le type de la sphère gravée sur le tombeau d’Archimède. Les formules de Kepler et de Galilée, tout invisibles qu’elles sont, plus vieilles que l’univers, n’ont pu encore être obéies, malgré l’éternelle course des astres qui les poursuivent ; et la vie de la nature n’est autre chose qu’un inépuisable effort pour se construire sur ces vérités immuables, éternellement disposées dans l’esprit divin, et tout à coup retrouvées dans le temps par l’intuition de la science. »

Quelle que soit néanmoins la dignité de l’architecture, elle est en un sens inférieur à la musique. L’architecte, en effet, s’adjuge l’espace, qui est une perception de la vue ; le musicien mesure le temps, qui est une conception de l’esprit. Invisible, impalpable, la musique a donc plus de spiritualité que l’architecture. Celle-ci est un art extérieur et matériel ; celle-là est un art interne et qui dérive directement de l’âme. Mais l’une et l’autre, usant de la proportion et de la consonance, nous causent des impressions quelquefois sublimes et qui semblent tout à fait contraires aux